Silence, I kill you

Le deuil, ce n’est pas toujours de ce que l’on a perdu. Le deuil, c’est aussi de ce que l’on n’aura jamais. Mais qu’on aurait aimé.

Juste après le « comment va-t-elle ? », dans le top des questions qu’on me pose le plus souvent, il y a le fameux « et le 3ème ? ». Avant tout, cette question très personnelle peut faire mal, sachez le. J’ai dans mon entourage plus ou moins proche, plusieurs femmes qui souhaitent un premier, deuxième, troisième enfant, mais qui ne le peuvent pas. Leur poser cette question leur plante à chaque fois un peu plus le couteau dans la plaie béante qu’est ce désir d’un enfant qui ne vient pas.

Maintenant que ma fille, ma dernière née approche de sa troisième bougie, c’est un sujet qui revient énormément dans mes conversations. Je conçois que ce soit une question facile quand on est dans la phase d’engagement de la conversation, d’autant plus en n’occupant plus mon poste à l’extérieur depuis plus de trois ans maintenant, mais si vous saviez comme parfois j’ai envie de supprimer le message pour ne plus le revoir, étrangler la personne en face de moi avec sa question, ou lui proposer de la prendre et d’aller la mettre où il le voudra mais pas devant moi.

Bien entendu, malgré mon associabilité chronique et parce que je suis aussi bien éduquée, je me contente de sourire et d’un « on n’en veut pas » avec l’espoir de couper court sur le sujet. La vérité est que même si je suis dans l’incapacité physique, financière, organisationnelle, logistique et psychique d’accueillir un troisième enfant, cette envie passée de trois enfants ne guérira JAMAIS. L’envie, le besoin de maternité est probablement la blessure d’une femme qui ne se referme jamais, une plaie à vif qui reste ouverte toute sa vie, s’infectant à grands coups de regrets, de « et si… », de « peut-être que… » et de proches qui continuent de fabriquer des bébés lorsque nous, devons fermer cette porte de notre vie malgré nous.

Dans quelques mois, une de mes amie les plus chères mettra au monde son deuxième enfant, faisant de son aîné un grand frère, aîné qui était dans son ventre pendant que ma fille était dans le mien. Comment ne pas avoir envie de hurler dans son oreiller quand, enfin, elle nous annonce qu’elle est enceinte. Et puis, bien sûr, comment ne pas s’en vouloir d’avoir cette réaction alors que je suis en parallèle si heureuse pour eux parce que je les aime sincèrement. Est-ce que ça fera aussi mal à chaque fois qu’une amie proche tombera enceinte ? Est-ce que j’arriverai un jour à vendre ces vêtements portés aux deux plus incroyables périodes de ma vie ? Est-ce que, les années passant, je serai moins amère qu’aujourd’hui de me condamner à même pas 30 ans à ne plus avoir d’enfant ?

Quand aux « pourquoi ? », aux « la foudre ne tombe pas deux fois au même endroit »… Mais vous n’en savez RIEN bordel !! On n’a pas le droit de dire ça quand on est absolument pas concerné ! Vous êtes devins ? Vous l’avez lu dans la boule de cristal ? Vous pouvez produire une assurance repris ou échangé s’il y a un problème quelconque ? Venez faire un tour en réanimation, venez passer une semaine avec nous à Necker, en maison des Parents, venez voir si la foudre ne tombe pas deux fois dans le même jardin. Moi j’ai vécu avec une maman dont le fils a été diagnostiqué autiste pendant sa 2ème grossesse qui lui a donné une fille qui n’a pas respiré seule avant ses deux ans. J’ai vécu avec une maman dont la dernière née, trisomique, était en réanimation en attente d’une opération du cœur et qui m’a présenté à sa première fille, trisomique également. J’ai vécu avec une maman qui a failli perdre sa petite fille de 3 semaines alors qu’elle était déjà mamange d’une princesse qui avait 5 ans lorsqu’elle est partie. J’ai croisé un papa d’un petit garçon qu’on allait débrancher et laisser s’envoler après un accident de voiture alors qu’il était déjà papange d’un petit garçon parti après 3 ans de souffrance d’une maladie incurable.
Ce n’est pas parce que la foudre n’est jamais tombée dans VOTRE jardin qu’elle ne tombera pas deux fois dans celui du voisin. Certaines familles font le choix d’accepter ce risque, c’est leur choix, pas le mien. Je ne les juge pas, ils font un pari sur la vie, j’en suis personnellement incapable. Pour moi, pour cet enfant. Je n’arrive déjà pas à soulager ne serait-ce qu’un peu la culpabilité qui me ronge quand je vois ma fille souffrir de sa situation, comment pourrais-je en supporter d’avantage. Une partie de mon âme est morte lorsque nous avons failli la perdre. Ce que nous avons vécu, au delà du descriptible, JAMAIS je ne pourrai le supporter à nouveau. Je refuse d’exposer mon cœur à nouveau. Impossible. JAMAIS. Je ne cicatriserai de toute façon jamais de cette première attaque. Quand à l’enfant, bien sûr que la vie d’enfant avec une maladie ou un handicap vaut d’être vécue, je me bats moi même depuis plus de deux ans pour que ma fille vive, mais jamais je n’aurais fait le choix de lui imposer cette vie si je l’avais eu. J’assume à 300% de dire que si j’avais su pendant la grossesse ce qu’allaient être ses 3 premières années de vie, je l’aurais laissée partir, oui. Elle n’en est pas moins aimée pour autant. Seulement, je suis incapable d’apporter consciemment de la souffrance à un enfant si je peux l’éviter. Et si vous n’avez jamais connu la souffrance d’un enfant (je ne parle pas d’une grippe ou d’une jambe cassée je vous en prie), vous n’avez pas le droit de me juger. Vous avez le droit de ne pas être d’accord, mais certainement pas de me juger.

Dans le feu de l’honnêteté, je peux même vous avouer que ma plus grande peur depuis deux ans, bien au delà de mon arachnophobie qui pourtant m’a fait m’évanouir de terreur plus d’une fois, c’est de tomber enceinte. L’idée de tomber enceinte malgré la pilule me terrifie, me cloue sur place, me paralyse, m’empêche de respirer. Parce que je serais incapable d’avorter. Attention, pas de ligne cachée, je suis totalement POUR le droit à l’avortement pour toutes les femmes sans conditions, une de mes amies les plus proche y a eu recours et je l’ai soutenue à 300% sans aucun jugement. Mais moi, MOI, pour moi, ma vie à moi, j’en serai incapable. Même seule, même à la rue, ce serait impossible, c’est tout. C’est mon enfant à partir du moment où le + apparaît dans la micro fenêtre, où le chiffre dépasse 5 UI sur ce bout de papier. C’est ce que JE ressens. Et tant mieux pour celles qui trouvent le courage de renoncer, si j’avais ce choix à faire un jour, je n’aurai pas de choix, j’y perdrais probablement la plus grande partie de ma vie. Alors je me contente de prier pour que l’endométriose avance au point d’atteindre ma fertilité pour que la question de ce 3ème enfant ne se pose plus jamais, et peut-être, un jour, me permette de faire ce deuil qui aujourd’hui me déchire et me ravage.

©️Aelig

4 commentaires sur “Silence, I kill you

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  1. cet article est si fort…et surtout tu ose dire à quel point les gens, l’entourage, peut faire mal et rajouter à la peine. souvent quand on le dit on se prend des « mais ils pensent pas à mal ». Alors qu’ils ne pensent pas !!! toi seule ressens TA douleur, elle est personnelle et tu la vis comme tu peux. je te souhaite plein de courage et t’envoie des bises

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  2. Quel article… Je n’ai pas abordé les choses de la même manière que toi après l’arrivée de mon grand et de ses soucis, peut-être parce que c’était le premier je ne sais pas. Mais pour autant, cette peur que la foudre tombe 2x au même endroit… qu’elle me parle… Quand je suis tombée de nouveau enceinte, et quand on m’a annoncé que c’était des jumeaux, mon cerveau a court-circuité et j’ai emmuré ma peur pour ne plus y penser. Ne pas penser aux risques, aux « et si », parce que je ne savais que trop bien que ce que c’était le handicap, ce que de vivre à l’hôpital trop de temps veut dire, et encore il y a des réalités que je n’ai fait qu’effleurer. J’aurais pété les plombs sinon, et d’ailleurs sur la fin le mur se fendillait et… c’était dur. Personne ne pourra comprendre ce que c’est. Je te souhaite que l’avenir t’apporte du réconfort sur cette question, et sur tout le reste ❤

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    1. Je pense que lorsqu’on n’a qu’un seul enfant et qu’il est touché par le handicap, c’est différent. On a sûrement envie de connaître la vie normale avec un enfant sans problème lourd, et puis très honnêtement, si nous n’avions pas eu notre premier enfant dans l’équation, nous aurions tout vécu plus difficilement. Les autres enfants sont ceux qui nous aident à tenir front, nos petits piliers d’amour.

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